Loup-garou :
Ce soir-là, je sortis rapidement de la salle commune, sans bruit, aussi silencieuse qu'une ombre. C'était le premier soir de pleine lune du mois et au bout de cinq ans, j'avais appris à me défiler auprès de mes amis pour pouvoir sortir sans soucis. Je n'eus aucun problème pour rejoindre le parc plongé dans les ténèbres car Rusard savait que, moi, j'avais le droit de sortir lorsque ma Sœur la Lune était pleine... J'atteignis rapidement le saule cogneur et avec une branche, j'appuyai sur le nœud d'une racine. Les branches s'immobilisèrent et je pus passer dans le passage secret menant à la cabane que je connaissais à fond pour l'avoir explorée de fond en comble trois nuits par mois pendant cinq ans.
J'allai dans une pièce aux grandes fenêtres, par lesquelles la lune m'inondait de sa lumière blanche. La transformation n'avait rien à voir avec le cinéma moldu. Les gesticulations, les cris, les os qui craquent en s'allongeant et en changeant de forme... Tout ça, c'était des blagues.
Chez moi, ça se passait sans effets spéciaux. Normal, j'étais une sorcière, c'était de l'authentique ! Je me sentis planer, fondre... C'était plutôt excitant...! Grâce à la potion Tue-Loup que me donnait le Maître des Potions, la transformation en me faisait pas trop mal. Mais j'avais déjà vécu des métamorphoses sans potions et je pouvais assurer que c'était terrible.
Mon corps tressaillait de puissance. J'avais la tête et le nez farcis de sensations si riches et extravagantes, tellement plus intenses que tout ce que mon nez humain pouvait sentir ! Intéressantes avec ça, mêmes les plus sales.
Dans la pièce qui avait dû être une chambre autrefois avait encore un miroir craquelé par endroits, taché de rouille et poussiéreux mais je pus m'y admirer. J'aperçus la tête d'un grand loup avec un long museau fin et un collier de poils drus. Un corps svelte et des pattes robustes quoique fines et des muscles saillants. Une gueule fabuleuse bardée de crocs blancs, de petits yeux clairs qui étincelaient au clair de lune. La queue faisait un drôle d'effet mais je m'y étais habituée et puis, elle formait un joli plumet. De larges épaules revêtues d'une épaisse fourrure, plus sombre sur le dos et couleur argent fondu sur le ventre. Le plus dur, c'était ma langue, longue d'au moins trente centimètres qui reposait soigneusement sur mes canines inférieures. J'étais un loup-garou mais pas comme au cinéma moldu, un type recouvert de maquillage. Moi, j'étais belle.
Dans le flot d'énergies qui bouillonnaient moi, j'identifiai la faim. C'était à ce moment-là que je ne me contrôlais plus, frustrée de ne pas pouvoir sortir et chasser. Sortir dans ce monde riche de sons éclatants et d'odeurs capiteuses...
Je n'aurais su dire pourquoi, ce soir-là était différent des autres. Je ne me sentais soudainement plus capable de me maitriser, il fallait que je sorte. Je ne me sentais vraiment pas capable de réfréner ce désir de viande, cette viande qu'on me refusait depuis si longtemps... Les enseignants n'en sauraient rien... Je savais être discrète lorsque je le voulais... Sans réfléchir, sous le coup d'une impulsion animale, je descendis les étages et sortis de cette maudite cabane par le passage secret qui menait au parce de Poudlard. C'était quelque chose à laquelle je n'avais jamais pensé auparavant mais ce soir, l'éclat de la lune semblait m'avoir dicté de sortir. Dehors, je filai telle une ombre vers la forêt interdite.
Hrhrr... Enfin j'étais dehors, en cette nuit, dans cette forêt argentée, je sentais revivre l'humus. À travers ses pores, les racines exhalaient leur trop-plein de sève. Cette sombre senteur se liait au froid de la nuit comme des milliers de petites aiguilles me poignardant d'un même coup. Mais ni le froid ni le noir ne me rassasiaient. Pour raviver haine et douleur, je devais trouver de quoi manger, j'en avais trop besoin. La nuit, mon aire de vie, avait d'autres couleurs, d'autres haines affamées et les étoiles cloutant le ciel de velours étaient témoins de mes errances et de mes faims, ces faims qui étaient la terreur des hommes.
Cette nuit-là, mes pattes savaient exactement où se poser, comment propulser mon corps avec le minimum d'effort, le diriger entre les arbres et les pierres sans faire plus de bruit que des gouttes de pluie sur l'épais tapis de mousse. Mes griffes entraient dans la terre souple et grasse et la lacéraient profondément tandis que mes muscles tendus frémissaient et se détendaient au rythme de ma course. Ma course qui creusait la nuit comme cette dernière creusait mon ventre vide... toujours vide...
La forêt interdite était riche en odeurs, rafraîchies par la nuit. Un univers entier déferlait dans mes narines : l'odeur lointaine des élèves dans la grande forteresse aux infranchissables murs de pierres, l'odeur doucereuse de la fumée d'un feu récemment éteint, près de la cabane en bois...
Un instinct ancestral, animal, me poussait à se mettre rapidement en chasse. Je devais manger. Je trouvais incroyable de pouvoir jouir des sens et de l'instinct extraordinaires du loup. Les sons étonnement clairs et les odeurs capiteuses que mes oreilles et ma truffe détectaient me donnaient beaucoup plus d'informations que mes pitoyables sens humains; je me sentais bien plus vivante même si je ne pensais qu'à tuer.
Je n'eus pas longtemps à chercher parmi les troncs serrés de la forêt, je détectai bientôt l'odeur lourde d'un animal qui pouvait être une jeune biche. L'animal se trouvait dans une petite clairière, un coin où les arbres de la forêt étaient un peu plus espacés, et croquait délicatement les feuilles d'un jeune noisetier. Je me glissai silencieusement sous un buisson, les sens en alerte. Le vent agitait doucement les feuilles des arbres alentours, il n'y avait aucun bruit à
part le bruit de mastication de la biche qui ne se doutait de rien. Avec son pelage brun foncé, le loup que j'étais devenue se fondait parfaitement dans l'obscurité de la dangereuse forêt qui ne semblait jamais endormie, même au plus profond des ténèbres. Tapie sous son buisson, j'observais ma proie un moment, attendant l'instant propice pour bondir et lui sauter à la gorge.
*Grogne, bondis, tue !* pensai-je.
Je jaillis soudain du buisson dans un grondement sourd, mes pattes arrières se tendirent comme de puissants ressorts d'acier. Je percutai la biche désemparée avec la violence d'un trente tonnes et mes puissantes mâchoires, saisirent la délicate gorge et la déchiquetèrent avec une violence rare. Saignant la pauvre bête à mort, j'étais toute excitée par le chant délicieux du sang chaud qui me coulait dans la gorge. Quelle sensation merveilleuse ! Le sang me fila un méchant coup de fouet et je restai un moment haletante, les oreilles dressés et la truffe en l'air, afin de vérifier qu'il n'y avait personne. Mais de toute façon, qui pourrait-il y avoir dans cette forêt ? Elle n'était pas interdite pour rien... Avant de savourer enfin ce repas bien mérité, je lançai un joyeux cri à la pleine lune qui apparaissait derrière le feuillage plus épars de la clairière, un cri qui réveillait des terreurs ancestrales chez les humains. Alors, j'ouvris le ventre de la biche et engloutis les fragiles organes et la chair et rongeai même les os.
Après quoi, malgré la sauvagerie qui me tenait le cœur, je décidai de regagner la Cabane. Je ne voulais pas tenter le Diable, ce Diable qui avait envoyé son serviteur loup-garou pour me mordre lorsque j'étais enfant. Depuis lors, je n'avais plus eu le choix : je devais subir la transformation que m'infligeait la lune. Aussi rapidement et silencieusement que j'étais venue, je me retrouvais à la lisère de la forêt. Attentive, je parcourus rapidement la distance qui me séparait de la Cabane. Le saule cogneur agita furieusmeent ses branches mais je me faufilai agilement pour enfin revenir dans le passage secret...
